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Entrevue de Marie-Hélène Doré et Lucienne G. Oliveira avec Marie Ayotte


Nos deux spectatrices s’installent dans une salle d’une soixantaine de places. Comme un rappel du contexte de la première crise d’anxiété de l’auteure, vécue à l’âge de huit ans, les trois interprètes accueillent le public dans le rôle de vulgarisatrices du Planétarium. Elles sont vêtues de couleur bleue, comme une nuit profonde. Elles portent une cocarde avec leurs noms. Il y a un confort qui s’établit par l’énumération factuelle scientifique, ainsi que par l’enveloppement dans l’espace sonore et visuel. S’estompe l’excitation devant l’inconnu du déroulement de la pièce. L’horizon d’attente face à la performance à venir n’est plus une préoccupation pour les spectatrices. Les interprètes se livrent à un jeu qui semble tout léger, comme celui d’une enfant. À travers la projection vidéoscénique, les paillettes et boules colorées qu’elles jettent dans des bacs d’eau se transmutent en des images de galaxies sur un grand écran.

Puis, tout bascule. Les spectatrices ressentent la crise existentielle emportant toutes les interprètes, jusqu’au sentiment de noyade ‒ un corps haletant plongé dans l’eau. De l’universel au particulier, immergées dans l’expérience sensorielle par la performance en direct, elles font l’expérience de l’anxiété. Des choses en apparence simples comme une visite au centre des sciences et un jeu dans des bacs d’eau prennent des proportions galactiques.

Question de Marie-Hélène Doré et Lucienne G. Oliveira : Avez-vous quelques citations de la pièce que vous pouvez relier à la notion de vulnérabilité?

Réponse de Marie Ayotte : En fait de citations, plusieurs me viennent en tête, mais voici deux de mes favorites :

« Tu… t’es ennuyé longtemps de la personne d’avant, que t’étais avant.

Qui fonçait, qui bravait, qui avait pas toujours les épaules aussi lourdes.

Et t’avais jamais tant pensé au suicide avant ça

Mais si on est honnête, tu…

Tu t’étais dit que c’est ce que t’allais faire,

si t’étais pas capable de te ressentir toi-même bientôt.

C’est horrible, avoir l’impression qu’on a pris en otage ton corps. »

« T’as déjà eu la conversation la plus calme du monde pendant une crise, même si en dedans tu capotais à en vouloir te sauver de ta peau.

T’as déjà baisé, donné une conférence, ri aux éclats en ayant une attaque de panique.

L’humain s’adapte à toute, même au feeling d’avoir la certitude d’être en train de mourir. »

Question de Marie-Hélène Doré et Lucienne G. Oliveira : Si vous mettez l’accent sur la vulnérabilité, dans quelle mesure cela peut-il se reconnaître dans le texte de la pièce?

Réponse de Marie Ayotte : Il n’y a rien dans Planétarium qui n’est pas une expression de mes sentiments les plus vrais et intimes – et je pousse ma démarche d’écriture depuis plusieurs années en ce sens, ça consiste à ne pas éditer mes phrases, à les laisser dans leur premier jet, pour m’assurer de ne pas embellir les sentiments. Ils sont tels que je les ai sentis aux moments de les mettre sur papier. Je m’accorde le droit de changer la structure, l’ordre des répliques, mais jamais les phrases en elles-mêmes, car je trouve qu’on le voit toujours quand un texte est trop travaillé, que ça perd beaucoup de sa vulnérabilité. Je n’aime pas le trop lisse. Dans Planétarium, je crois que la vulnérabilité s’exprimait en plusieurs couches : dans le texte autant que dans la production. Il s’agit d’écrire la transparence, mais aussi, pour moi, d’assumer cette transparence devant un public composé de la famille, des amis et d’étrangers. Par exemple, énoncer le fait d’avoir pensé fortement au suicide quand j’ai eu mes premières crises d’anxiété, ça a été très angoissant. Parce qu’autant que je crois en la démarche de s’étaler, dans la vérité complète, autant je sais quand même que ma mère va pleurer en l’apprenant, qu’on pourrait me juger dans mes actions futures, que mes amis vont s’inquiéter. C’est effrayant, parfois, de ne pas se cacher derrière la fiction. Mais je crois que la vulnérabilité a été plus présente pendant mon monologue final, qui n’était pas appris par cœur. C’était une performance. Je restais assise cinquante minutes parmi les spectateurs, puis je leur livrais, à chaud, ce que je ressentais. C’était comme ça chaque soir. À force d'entendre les interprètes me redirent ma vie, me redirent mes angoisses, il n’y a pas un soir où je n’ai pas pleuré. Il n’y a pas un soir où les gens ne m’ont pas entendu pleurer dans le micro. J’ai trouvé cela pénible à faire et incroyablement épuisant, mais je sais que c’était nécessaire, cette vulnérabilité totale, pour arriver à faire en sorte que les gens se sentent moins seuls. Qu’ils soient confrontés à d’autres humains similaires à eux, sans pouvoir se cacher derrière un « mais c’est juste du théâtre ».

Question de Marie-Hélène Doré et Lucienne G. Oliveira : La démarche artistique repose-t-elle sur un désir de vérité totale, pour laquelle il s’agit de traiter d’anxiété dans des cas particuliers et qu'il faut s'employer à décliner à l'infini? S'agit-il plutôt de l'adresser vis-à-vis la société, qui nous met tous parfois beaucoup de pression sur les épaules?

Réponse de Marie Ayotte : Mon travail artistique complet, que ce soit dans Planétarium ou dans mes autres projets, est basé sur l’exploration de la vulnérabilité et la vérité comme outil de rassemblement, comme possibilité de se sentir moins seul face à nos réalités et nos failles. Planétarium est une pièce 100% vraie ; au sujet de chaque phrase, je peux me dire « Ouais, c’est exactement ce qui est arrivé, ce que je me suis dit, c’est ce que je ne voulais pas dire tout haut, mais qui me rongeait tout bas ». Planétarium est une pièce sur les graves crises d’anxiété qui m’habitent depuis un an, mais aussi sur tous ces moments de ma vie où je me dis « Criss, faudrait pas que les gens sachent ce que je pense présentement », toutes ces fois où j’ai tellement peur de la gâcher, ma vie. Dans cette optique, la pièce fonctionne comme un miroir ; en me mettant nue dans tout ce qu’on tait souvent en société, je veux permettre à d’autres de se donner la permission d’assumer leur propre anxiété et leurs parts d’ombre, mais aussi de savoir que c’est humain, que ça a besoin d’être dit et entendu, qu’il n’y a rien de honteux là-dedans. On s’entend, chaque phrase, chaque situation décrite ne rejoindra pas tout le monde, mais c’est la beauté du théâtre et de l’art vivant ; on y est libre d’y faire notre propre montage en temps réel, de focaliser sur les phrases et les images qui nous parlent, qui nous rejoignent. Je pense vraiment que l’infiniment petit et personnel a le potentiel d’atteindre les masses, et c’est le fondement de la démarche créative de cette œuvre, mais tout autant, Planétarium s’attaque aussi à la société qui nous dit toujours de nous taire quand ce n’est pas assez beau à dire, de respirer même si on ne va pas, comme si c’était la solution magique à tout. C’est des choses qu’on finit souvent par se dire nous-mêmes, oubliant qu’on a le droit d’être imparfait et plein de questions.

Question de Marie-Hélène Doré et Lucienne G. Oliveira : Toujours en mettant l’accent sur la vulnérabilité, dans quelle mesure peut-on reconnaître les interprètes Emmanuelle Caron, Andrée-Anne Giguère et Mélanie Michaud dans la pièce. En ce qui concerne leurs expériences personnelles : qu’est-ce que chacune d’elle aurait à dire sur l'anxiété? Y a-t-il des moments de leur vie où les interprètes ont subi l’anxiété? Est-ce qu’elles ont trouvé des moyens pour composer avec l'anxiété?

Réponse de Marie Ayotte : Planétarium a commencé en novembre 2017 comme un projet complètement différent, avec une seule actrice (une amie), qui était plus comme un monologue avec lequel je voulais explorer ma démarche de vérité et vulnérabilité dans un contexte théâtral, mais sans plus. Puis, quand elle a dû laisser tomber le projet en février, je me suis retrouvée devant rien, un néant total. J’avais envie de beaucoup plus qu’une lecture publique, ça ne pouvait pas se terminer par un texte lu sur une scène. Je voulais un défi confrontant, un moyen d’aller plus loin dans ma réflexion sur l’art. J’ai donc fait un appel sur Facebook pour des comédiennes ; c’est ainsi que j’ai rencontré Emanuelle, Andrée-Anne et Mélanie. L’histoire c’est que je ne les connaissais pas bien, nous n’avions échangé que des salutations, nous n’avions eu que des conversations de moins de deux minutes, ici et là, dans des soirées. J’ai rencontré chacune d’elle dans un café et je n’ai pas tenu d’audition de jeu ; je leur ai plutôt demandé de me parler de leur anxiété, j’ai discuté de la mienne. C’est intense, comme première rencontre… mais j’ai tout de suite su que j’avais trouvé. Non seulement elles comprenaient chacune à leur manière l’anxiété, mais elles étaient aussi prêtes à se mettre à nu émotionnellement et elles y étaient aussi déterminées que moi, pour ce projet. Nos pratiques ont souvent été comme ça ; se conter nos choses les moins glorieuses, nos secrets, nos vies, nos angoisses. Je suis chanceuse et reconnaissante d’être tombée sur trois comédiennes talentueuses avec une vraie chimie entre elles, mais je sais que la démarche ne fut pas tout le temps facile pour elles. Même quand on le veut, ne pas avoir aucun mur … avoir une ouverture totale, ça demande beaucoup. Ça demande de laisser tomber beaucoup. Ce que j’ai pris deux ans de travail à construire dans ma démarche, je leur ai demandé d’y arriver en trois mois. Pour certaines d’entre elles, ç’a été un défi très difficile à relever. Dans cette première version de Planétarium (cela sera différent dans la prochaine version en cours de chantier), le texte n’a pas été écrit ou modifié pour refléter leur propre rapport avec l’anxiété, mais j’ai attribué les répliques, les « personnages » pour coller le mieux à leur propres réalité et personnalité. Il va sans dire qu’elles ont fait un excellent travail pour aller chercher leur propre vérité dans le texte, pour accéder à ce jeu le plus naturel et proche du « non-jeu » possible – plusieurs soirs, les filles ont pleuré sur scène ; pour moi, ç’a été la preuve qu’on avait réussi à dépasser ma propre petite existence. Cependant, j’ai fait des modifications suite à la constatation que leur rapport à l’anxiété était différent du mien. Pour ce premier laboratoire de recherche, le monologue final les a inclus, leur proposant d’aller conter leur histoire personnelle, mais dans l’intimité d’une conversation avec un spectateur, un à la fois. Je connais leurs batailles personnelles avec l’anxiété : vouloir avoir l’air parfaite, l’incroyable facilité d’envier les autres quand tu es comédienne, la volonté de toujours paraître correct même quand tout s’écroule, manger pour oublier que tout n’est pas parfait, etc. Mais encore aujourd’hui, je ne sais pas exactement ce qu’elles ont dit dans leurs rencontres, un à un, avec les spectateurs. Je voulais respecter leurs parts d’ombre. Moi je suis à l’aise d’être associée à mes troubles intérieurs étalés au grand jour et je suis aussi à l’aise avec le fait que ces paroles restent, mais ça peut ne pas être le désir de tous. La vulnérabilité n’a pas à être livrée publiquement comme je le fais, ce n’est pas pour tous, ça reste tout aussi courageux de le faire comme les interprètes l’ont fait. Dans leurs conversations un à un avec le public, elles n’avaient que deux règlements : elles devaient respecter leurs limites, mais ce qu’elles disaient devait être 100% vrai et avec une touche d’espoir. Ce fut particulièrement dur pour une d’entre elles, plus prompte à faire des blagues sur le sujet, moins habituée à se livrer. Mais je crois que c’est un aspect des plus réussi de la pièce ; ça ne montre pas juste différentes facettes de l’anxiété, ça montre aussi différents moyens de se livrer à d’autres, selon ce qui nous convient.

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Marie-Hélène Doré est étudiante au programme de doctorat en Littérature et arts de la scène et de l’écran à l’Université Laval ; Lucienne Guimaraes de Oliveira est quant à elle doctorante au même programme. Elles se sont rendues en juin 2018 au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal pour voir la pièce « Planétarium » de Marie Ayotte. L’équipe de conception et d’interprétation était entièrement féminine, l’auteure a aussi consulté une scientifique pour s’assurer de la rigueur de son texte. «Planétarium» a reçu le prix du Festival Fringe pour le meilleur texte en français, ainsi que de nombreuses critiques élogieuses, dont un article dans Le Devoir.

Des photos de la pièce Planétarium https://www.guylainebertrand.com/evenements

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